Les pesticides sont largement utilisés en agriculture conventionnelle pour lutter contre les organismes jugés nuisibles aux cultures. Cependant, leur utilisation massive n’est pas sans conséquence sur l’environnement et la santé humaine. En effet, une fois épandus sur les champs, les pesticides peuvent migrer vers les eaux de surface et les nappes phréatiques, entraînant une contamination préoccupante des ressources en eau.
1. La présence des pesticides dans les eaux
1.1 Les causes de la contamination
La présence de pesticides dans les eaux s’explique principalement par :
- Le ruissellement : lorsqu’il pleut, les pesticides peuvent être entraînés vers les cours d’eau situés à proximité des parcelles traitées.
- L’infiltration : une partie des pesticides s’infiltre dans le sol et contamine les nappes phréatiques.
- Les rejets accidentels lors du remplissage ou du nettoyage du matériel d’épandage.
- L’épandage aérien qui disperse les produits.
Les molécules les plus souvent retrouvées sont des herbicides (atrazine, bentazone, glyphosate…), des fongicides (carbendazime, tébuconazole…) et des insecticides (chlorpyrifos, imidaclopride…).
1.2 L’ampleur de la contamination
En France, selon le bilan du ministère de la Santé, 90% de la population reçoit une eau conforme vis-à-vis des pesticides. Cependant, cela signifie qu’environ 650 000 personnes consomment une eau non-conforme. La contamination touche surtout les petites communes rurales qui manquent de moyens pour traiter leur eau.
Les principales régions touchées sont les zones de grandes cultures céréalières et betteravières (Hauts-de-France, Ile-de-France, Grand Est), les vignobles (Aquitaine, Languedoc) et les régions de polyculture et d’arboriculture (Bretagne, Pays de la Loire).
La réglementation fixe une limite de 0,1 μg/L par substance et de 0,5 μg/L pour la somme des pesticides. Or on constate que ces seuils sont fréquemment dépassés. Certaines molécules comme le glyphosate ou l’AMPA, son produit de dégradation, sont quantifiées dans plus de 60% des cours d’eau français.
1.3 Les risques sanitaires
Boire une eau contaminée par les pesticides n’est pas sans risque pour la santé. Ces substances sont conçues pour être toxiques et peuvent avoir des effets même à faible dose. Il a été montré qu’une exposition chronique aux pesticides pouvait provoquer :
- Des troubles neurologiques
- Des perturbations endocriniennes
- Des cancers (lymphomes, leucémies…)
- Des malformations congénitales
- Des troubles de la reproduction et du développement
Les personnes les plus vulnérables sont les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Il est donc essentiel de limiter au maximum la présence de ces polluants dans l’eau du robinet.
2. L’analyse des pesticides dans l’eau
Contrôler la qualité de l’eau vis-à-vis des pesticides est complexe. Cela nécessite des méthodes d’analyse performantes capables de détecter une très large gamme de molécules à l’état de traces.
2.1 Les différentes étapes
L’analyse des pesticides dans l’eau comprend plusieurs étapes critiques:
- L’échantillonnage : opération délicate qui conditionne la représentativité de l’analyse.
- L’extraction des pesticides de la matrice aqueuse, généralement par extraction sur phase solide (SPE).
- La purification de l’extrait pour éliminer les interférences.
- L’analyse par chromatographie liquide ou gazeuse couplée à la spectrométrie de masse.
- L’identification des molécules détectées.
Chaque étape nécessite un contrôle rigoureux pour garantir la justesse et la précision des résultats.
2.2 Les techniques utilisées
Les techniques les plus courantes sont :
- La chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS) : bien adaptée aux molécules volatiles.
- La chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS) : privilégiée pour les molécules thermolabiles et polaires.
- La GC-MS et la LC-MS en tandem (triple quadripôle), permettant d’atteindre des limites de détection très basses, de l’ordre du ng/L.
Ces techniques permettent d’analyser plusieurs centaines de pesticides à l’état de traces dans un échantillon d’eau.
2.3 Les points critiques
Malgré les progrès techniques, l’analyse des pesticides dans l’eau présente encore plusieurs difficultés :
- Le grand nombre de molécules à rechercher (> 750 pesticides et métabolites).
- La diversité des propriétés physico-chimiques.
- Les limites de quantification très basses à atteindre.
- La disponibilité des étalons pour l’identification.
- Le manque de méthodes normées pour certains composés.
- La représentativité de l’échantillonnage.
Une analyse fiable nécessite donc du personnel hautement qualifié et un contrôle rigoureux à chaque étape.
3. La réglementation sur les pesticides dans l’eau
3.1 La directive cadre sur l’eau (DCE)
La DCE impose aux Etats membres d’atteindre le bon état chimique et écologique des eaux en 2015. Elle définit des limites de qualité :
- 0,1 μg/L par substance.
- 0,5 μg/L pour la somme des pesticides.
16 pesticides sont classés substances prioritaires avec obligation de réduction des émissions. Les laboratoires doivent analyser ces molécules en priorité.
3.2 Limites de la réglementation
Cependant, la réglementation présente des lacunes concernant les pesticides :
- Pas de liste nationale des molécules à analyser.
- Jusqu’à 50 fois moins de molécules recherchées selon les départements.
- Nombreuses molécules non prises en compte.
- Normes inadaptées aux perturbateurs endocriniens.
Il faudrait mieux encadrer le nombre de molécules à rechercher et prendre en compte les effets cocktails et à faible dose.
4. Les solutions pour limiter la contamination
Pour résoudre le problème des pesticides dans l’eau, des solutions existent à différents niveaux :
4.1 Réduire l’usage des pesticides
Il faut inciter à réduire l’usage des pesticides les plus dangereux et à adopter des pratiques économes en intrants : agriculture biologique, lutte intégrée, agroécologie…
4.2 Améliorer les traitements de l’eau
Les collectivités doivent moderniser les usines de traitement d’eau pour mieux éliminer les résidus de pesticides les plus récalcitrants, même à l’état de traces.
4.3 Renforcer les analyses
Les autorités doivent harmoniser les pratiques d’analyses sur tout le territoire et rechercher un large spectre de molécules pertinentes.
4.4 Protéger les captages
Il est primordial de préserver la qualité des eaux brutes en mettant en place des périmètres de protection autour des points de captage et en aidant les agriculteurs à modifier leurs pratiques dans ces zones sensibles.
Conclusion
Malgré des progrès, la présence de pesticides dans les eaux reste préoccupante et peut présenter des risques sanitaires sur le long terme. Une stratégie globale est nécessaire, associant tous les acteurs concernés, pour garantir une eau du robinet de qualité et sans pesticides. Les solutions existent, encore faut-il une véritable volonté politique pour les mettre en œuvre.