Les pesticides sont devenus indispensables dans l’agriculture moderne pour lutter contre les divers parasites s’attaquant aux cultures. Ils permettent d’améliorer considérablement les rendements agricoles. Sans eux, il serait impossible dans de nombreux pays de nourrir convenablement l’ensemble de la population. On estime par exemple qu’aux Etats-Unis, sans pesticides, les rendements chuteraient de 50% pour les pommes de terre, les fruits et le coton, et d’au moins 25% pour la viande, la laine et le lait.
Cependant, l’utilisation intensive de ces produits chimiques à haute activité biologique n’est pas sans danger. Outre leur impact sur l’environnement, avec des effets sur la faune utile et la biodiversité, ils présentent des risques de toxicité pour l’homme et les animaux domestiques. En effet, étant conçus pour éliminer certains organismes vivants ciblés, ils peuvent aussi à doses suffisantes avoir des effets néfastes sur d’autres organismes, et notamment sur l’homme.
Le principal risque est lié à la présence de résidus de ces produits dans l’alimentation. Une exposition aiguë à forte dose entraîne généralement rapidement des effets toxiques graves. Mais l’ingestion chronique à faible dose sur de longues années peut aussi avoir des conséquences négatives sur la santé. C’est ce qu’on appelle l’effet cocktail. De nombreuses études épidémiologiques suggèrent en effet que même à doses infimes, l’accumulation de ces substances chimiques dans l’organisme finit par provoquer des troubles.
Parmi les aliments susceptibles d’être contaminés, le lait et les produits laitiers sont particulièrement concernés. En effet, du fait de leur forte teneur en matières grasses, ils peuvent contenir des résidus de pesticides liposolubles qui ont tendance à s’y concentrer. C’est notamment le cas des insecticides organochlorés, famille de pesticides très employée depuis les années 1950 et connue pour sa haute persistance dans l’environnement.
Nous allons voir plus en détails dans cet article les problématiques liées à la présence de résidus de pesticides organochlorés dans les laits, que ce soit les laits animaux destinés à la consommation humaine ou le lait maternel. Nous aborderons les points suivants:
- Généralités sur les pesticides organochlorés
- Origines de la contamination des laits
- Teneurs observées dans les différents laits
- Réglementation et méthodes analytiques
- Conclusion
Les pesticides organochlorés
Généralités
Les pesticides organochlorés constituent une famille d’insecticides, acaricides et fongicides de synthèse caractérisés par la présence d’atomes de chlore dans leur structure chimique. Ils ont été massivement employés dans l’agriculture à partir des années 1940 jusqu’aux années 1970-1980 avant que leur utilisation ne soit progressivement restreinte puis interdite dans de nombreux pays.
Les principales substances actives de cette famille sont:
- Le DDT
- Le lindane (isomère gamma du HCH)
- L’aldrine
- La dieldrine
- L’heptachlore
- Le chlordane
Elles présentent des propriétés communes qui expliquent à la fois leur efficacité et leur dangerosité:
- Grande stabilité chimique : elles persistent longtemps dans l’environnement
- Liposolubilité : elles s’accumulent dans les tissus adipeux
- Faible solubilité dans l’eau
- Lente dégradation dans les sols et bioaccumulation dans les chaînes alimentaires
Ainsi, une fois répandus dans l’environnement, ils peuvent subsister durant des années voire des décennies et se concentrer dans les organismes vivants, entraînant une intoxication lente. Leur demi-vie dans le sol peut atteindre 30 ans pour le DDT et 12 ans pour le lindane.
Ils se bioaccumulent facilement et se retrouvent à tous les maillons de la chaîne alimentaire, des végétaux jusqu’aux prédateurs supérieurs. Les teneurs observées sont croissantes au fur et à mesure qu’on monte dans la pyramide alimentaire. Les plus fortes concentrations s’observent chez les animaux présentant les plus hauts taux de graisses corporelles.
Métabolisation
Bien que très persistants, ces composés subissent tout de même une métabolisation lente dans les organismes vivants, sous l’action d’enzymes de détoxication. Celle-ci aboutit souvent à des métabolites présentant une toxicité accrue. C’est notamment le cas avec:
- Le DDT qui se transforme en DDE et DDD
- L’heptachlore qui se métabolise en heptachlore époxyde
- L’aldrine qui se métabolise en dieldrine
Ces métabolites époxydés sont en général plus toxiques et plus rémanents que les molécules mères dont ils dérivent.
Toxicité
Les organochlorés présentent une toxicité aiguë modérée à forte selon les produits. Le DDT a une DL50 orale de 113 mg/kg chez le rat. Mais ce sont surtout leurs effets chroniques qui sont redoutés aux faibles doses auxquelles l’homme y est exposé.
Chez l’homme, une exposition importante peut survenir en milieu professionnel lors de l’épandage ou la manipulation de ces produits. Elle provoque essentiellement des atteintes neurologiques et hépatiques. Mais la principale voie d’exposition de la population générale est l’ingestion de résidus présents dans l’alimentation. Or on connaît mal les conséquences sanitaires d’une exposition à long terme à faibles doses.
Différentes études épidémiologiques ont cherché à établir des liens entre l’exposition aux organochlorés et diverses pathologies, mais les preuves restent fragiles, du fait de la multiplicité des facteurs en cause. Des associations statistiques ont été trouvées concernant certains cancers (sein, prostate, testicules), des troubles de la reproduction et du développement, des dysfonctionnements endocriniens et métaboliques, ou encore des effets neurotoxiques. Mais les relations de causalité directe restent discutées.
Quoi qu’il en soit, le principe de précaution prévaut en matière de résidus alimentaires, et les organismes sanitaires recommandent de limiter autant que possible l’exposition humaine à ces substances. Celle-ci passe notamment par l’alimentation, les produits animaux issus d’élevages intensifs pouvant présenter des teneurs significatives.
Origines de la contamination des laits
Les résidus de pesticides organochlorés retrouvés dans les laits animal et humain peuvent avoir deux origines:
- Une contamination directe
- Une contamination indirecte
Contamination directe
Chez l’animal, une contamination directe peut survenir lorsque les pesticides sont appliqués directement sur l’animal ou dans son environnement immédiat:
- Traitements vétérinaires : traitement de certaines parasitoses (hypodermose bovine, varron…) avec des spécialités contenant du lindane par exemple
- Traitement insecticide des locaux d’élevage (étables…)
- Epandages dans l’environnement proche
Chez la femme, les sources directes de contamination sont:
- L’utilisation domestique de pesticides sous forme de plaquettes, bombes insecticides…
- L’exposition professionnelle : agriculture, industrie phytosanitaire…
Dans les deux cas, l’exposition peut se faire par contact cutané ou inhalation, mais aussi par ingestion accidentelle.
Contamination indirecte
Il s’agit de la principale voie de contamination, via l’alimentation avec des produits contaminés par des résidus:
- Chez l’animal : aliments du bétail souillés lors de leur croissance, récolte, stockage ou transport
- Chez la femme : alimentation courante contenant des résidus
Les résidus présents dans le bol alimentaire se concentrent ensuite dans les tissus adipeux et le lait du fait de leur liposolubilité.
Tous les aliments peuvent être concernés : viandes, abats, charcuteries, matières grasses, lait et produits laitiers, légumes, fruits…
Certains aliments du bétail sont régulièrement contaminés : foins, pulpes, issues, tourteaux… Le maïs ensilé peut aussi contenir des résidus.
Les fourrages sont contaminés lors de traitements insecticides des cultures. Les aliments concentrés le sont lors du stockage par traitement de désinsectisation. Le taux d’humidité élevé des ensilages favorise le transfert des pesticides du végétal vers le jus.
Teneurs en résidus dans les laits
De nombreuses études ont analysé depuis les années 1960 les teneurs en résidus d’organochlorés dans les laits animal et humain en France et dans le monde. Voici les principaux résultats obtenus.
Laits animaux
Lait de vache
Diverses études françaises entre 1967 et 1972 ont montré:
- Des teneurs moyennes en HCH (alpha, bêta et gamma) de 0,2 mg/kg de matières grasses
- Des teneurs moyennes en heptachlore époxyde de 0,15 mg/kg
- Des teneurs moyennes en dieldrine inférieures à 0,1 mg/kg
- Des teneurs moyennes en DDT inférieures à 0,1 mg/kg
On observe une diminution des teneurs en HCH et une augmentation des teneurs en métabolites (heptachlore époxyde et dieldrine) au cours du temps.
La répartition géographique montre de plus fortes concentrations dans le nord et l’est de la France. Des variations saisonnières sont également constatées, avec des teneurs plus élevées en hiver.
Certaines études ponctuelles ont relevé des teneurs maximales atteignant 0,8 mg/kg pour le HCH et 3 mg/kg pour l’ensemble des résidus.
Les teneurs sont globalement plus faibles dans le lait de vache que dans le lait humain.
Lait de brebis
Le lait de brebis présente une moindre contamination que le lait de vache. Le polluant majoritaire est le HCH, avec des teneurs moyennes de 0,12 mg/kg. Des traces d’heptachlore époxyde et de dieldrine sont également détectées.
Quelques fortes valeurs de lindane ont été relevées, liées à des traitements antiparasitaires vétérinaires utilisant cette substance.
Lait de chèvre
Le lait de chèvre présente un profil de contamination similaire au lait de vache. Les teneurs moyennes sont de 0,15 mg/kg pour le HCH. Quelques échantillons montrent des teneurs élevées en HCH bêta ou en DDT.
Lait humain
De nombreuses études dans divers pays ont montré que le lait humain présentait une contamination nettement plus élevée que le lait animal.
En France, des analyses conduites entre 1970 et 1972 sur des échantillons provenant de 10 lactariums ont montré des teneurs annuelles moyennes de :
- 1,77 mg/kg pour le HCH (alpha, bêta et gamma)
- 0,98 mg/kg pour l’HCB
- 0,28 mg/kg pour l’heptachlore époxyde
- 0,23 mg/kg pour la dieldrine
- 3,24 mg/kg pour le DDT et ses métabolites
A titre de comparaison, les teneurs maximales retrouvées dans le lait de vache étaient de 0,8 mg/kg pour le HCH et 0,15 mg/kg pour la dieldrine sur la même période.
Contrairement aux laits animaux, on n’observe pas de variation saisonnière des teneurs en résidus dans le lait humain.
Les régions présentant les plus fortes concentrations sont le nord de la France pour le HCH, l’heptachlore et la dieldrine, et la région parisienne pour le DDT.
Une légère baisse des teneurs est observable entre 1970 et 1972, vraisemblablement liée aux restrictions d’usage des organochlorés initiées à la fin des années 1960.
Ces niveaux élevés de contamination du lait humain s’expliquent par le rapport poids corporel/production de lait plus important chez la femme, et par son exposition via l’alimentation et l’utilisation domestique de ces produits.
Réglementation et méthodes d’analyse
Réglementation
Afin de limiter l’exposition alimentaire de la population aux résidus de pesticides, des seuils maximums admissibles ont été définis au niveau international par l’OMS et le Codex Alimentarius:
- 0,3 mg/kg de HCH total dans les matières grasses laitières
- 1 mg/kg de DDT total
- 0,125 mg/kg d’heptachlore + époxyde
- 0,125 mg/kg d’aldrine + dieldrine
Ces limites sont assez proches des teneurs retrouvées dans les laits animaux, mais nettement inférieures à celles du lait humain.
En France, l’usage des pesticides organochlorés a été progressivement restreint puis interdit à partir des années 1970 dans les élevages :
- 1969 : interdiction du HCH pour le traitement des locaux d’élevage
- 1972 : interdiction de l’aldrine, la dieldrine, l’heptachlore et le chlordane
Malgré ces mesures, les résidus ont persisté longtemps du fait de leur rémanence dans les écosystèmes.
Méthodes d’analyse
Le dosage des résidus dans les matrices biologiques complexes nécessite des méthodes analytiques très performantes du fait des faibles concentrations.
L’analyse se déroule généralement en 3 étapes:
- Extraction des résidus de la matrice grasse
- Purification et concentration de l’extrait
- Analyse fine par chromatographie en phase gazeuse avec détection par capture d’électrons
Cette technique permet d’atteindre des limites de détection de l’ordre de 0,01 mg/kg.
Différentes techniques sont utilisées pour l’extraction (macération, soxhlet…) et la purification (Florisil, alumine…
La qualité des solvants est cruciale pour ne pas contaminer les échantillons. Le contrôle qualité à chaque étape est primordial pour garantir la justesse des résultats.
Conclusion
L’utilisation intensive des pesticides organochlorés a entraîné une contamination significative des laits animal et humain par des résidus entre les années 1950 et 1980. Bien que des progrès aient été faits, des efforts restent nécessaires.
La contamination des laits animaux est maintenant relativement bien maîtrisée dans les pays développés, mais l’exposition via le lait maternel reste préoccupante.
La poursuite des recherches sur les effets sanitaires des faibles doses chroniques, le renforcement des contrôles réglementaires et le développement de solutions alternatives plus sûres, constituent des axes clés pour réduire cette pollution insidieuse.
La sensibilisation du public et l’évolution des pratiques agricoles et individuelles sont aussi essentielles pour instaurer une alimentation plus saine, en particulier pendant les 1000 premiers jours de vie.
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