Les pesticides sont largement utilisés en agriculture conventionnelle afin d’améliorer les rendements des cultures. Cependant, leur usage intensif a des conséquences néfastes sur l’environnement et la santé, notamment chez les enfants.
De nombreuses études scientifiques récentes démontrent que les enfants constituent une population particulièrement vulnérable aux effets toxiques de ces substances chimiques. Une exposition durant la grossesse, la petite enfance ou l’adolescence, lorsque l’organisme est en plein développement, peut avoir des répercussions délétères significatives sur leur santé.
Dans cet article, je présenterai dans un premier temps les preuves d’une exposition précoce des enfants aux pesticides par de multiples voies. Puis, j’expliquerai en détail les mécanismes physiologiques à l’origine de la sensibilité accrue des enfants à ces composés. Enfin, je ferai le point sur les principaux effets sanitaires préoccupants associés à l’exposition aux pesticides à différents stades de l’enfance, de la période prénatale à l’adolescence.
II. Une exposition précoce des enfants aux pesticides
Il est désormais clairement établi que les enfants sont exposés aux pesticides très tôt, dès la période prénatale, et tout au long de leur développement par de multiples voies.
A. In utero
En raison de la contamination généralisée de l’environnement et de l’alimentation, les femmes enceintes sont exposées à un cocktail de résidus de pesticides. Or, de nombreuses études réalisées chez l’animal ainsi que chez l’homme ont démontré la capacité de ces substances à passer la barrière placentaire et à atteindre le fœtus.
Chez la rate en gestation, l’administration de chlorpyrifos par voie orale conduit à retrouver ce pesticide rapidement dans le liquide amniotique, le sang et les tissus du fœtus, prouvant son passage transplacentaire (Lassiter et al., 1998).
Chez la femme enceinte, des résidus de pesticides tels que le chlorpyrifos, le DDT, le dieldrine, etc. ont été dosés dans le sang du cordon, le liquide amniotique, le méconium du nouveau-né ou encore dans le lait maternel, témoignant de l’exposition fœtale (Bradman et al., 2003 ; Ostrea et al., 2009 ; Carrizo et al., 2006).
Une étude récente menée aux États-Unis a même détecté des traces d’une vingtaine de pesticides différents dans le sang du cordon chez la majorité des femmes testées, démontrant l’ampleur de la contamination de la population (Barr et al., 2010). L’exposition précoce in utero est donc bel et bien une réalité.
B. Lors de l’allaitement
Après la naissance, l’enfant continuent d’être exposé aux pesticides via le lait maternel. En effet, les résidus de pesticides ingérés par la mère se retrouvent dans son lait, constituant une nouvelle source d’exposition pour le nourrisson.
Dans une étude américaine récente menée chez des femmes allaitantes, des métabolites de pesticides organophosphorés ont été détectés dans leurs échantillons de lait pour plus de 90% d’entre elles (Ye et al., 2022).
Bien que l’allaitement maternel comporte de nombreux bénéfices et qu’il soit recommandé dans la plupart des situations, il ne faut pas occulter le risque de transfert de pesticides qu’il peut engendrer chez le nouveau-né et le jeune enfant.
C. Par l’alimentation
Par la suite, les enfants sont exposés aux pesticides via leur alimentation. En effet, les fruits, légumes, céréales et autres produits végétaux conventionnels qu’ils consomment contiennent fréquemment des résidus de ces substances chimiques.
Une étude française récente de l’ANSES a ainsi mis en évidence la présence d’au moins 2 résidus de pesticides dans 64% des aliments destinés aux enfants analysés (ANSES, 2022). Manger ces aliments constitue donc une source majeure d’exposition aux pesticides dès le plus jeune âge.
D. Via l’environnement
Enfin, les pesticides omniprésents dans l’environnement, que ce soit dans l’air, le sol, la poussière, l’eau etc. contribuent de manière diffuse à l’exposition des enfants.
Des études menées dans plusieurs pays ont permis de doser des métabolites de pesticides dans les urines ou le sang d’enfants, y compris suivant un régime alimentaire biologique, témoignant de cette exposition environnementale difficilement contrôlable (Lu et al., 2006 ; Van den Berg et al., 2017).
Ainsi, dès la période prénatale et tout au long de leur croissance, les enfants sont soumis à un cocktail de pesticides par de multiples voies d’exposition. Il est aujourd’hui impossible pour eux d’y échapper totalement.
III. Une vulnérabilité accrue des enfants aux pesticides
Si l’exposition précoce aux pesticides est préoccupante, c’est aussi parce que les enfants y sont beaucoup plus vulnérables que les adultes. En effet, à dose égale, les enfants seront beaucoup plus sensibles aux effets toxiques potentiels de ces substances. Plusieurs facteurs physiologiques et comportementaux expliquent cette vulnérabilité propre à l’enfant.
A. Immaturité des systèmes de détoxification et d’élimination
Tout d’abord, les principaux organes permettant de métaboliser et d’éliminer les xénobiotiques comme les pesticides, à savoir le foie et les reins, sont encore immatures chez le fœtus et le jeune enfant.
Ils sont donc moins efficaces pour transformer ces substances chimiques en composés hydrosolubles pouvant être excrétés, et pour les éliminer. Il en résulte une rémanence des pesticides beaucoup plus longue dans l’organisme des enfants par rapport aux adultes (Meek et al., 2011).
B. Barrière hémato-encéphalique perméable
De plus, la barrière hémato-encéphalique, qui a pour fonction de protéger le cerveau en filtrant les substances circulant dans le sang, est encore perméable chez le fœtus et le très jeune enfant.
Des études chez l’animal exposé au chlorpyrifos ont montré que les concentrations cérébrales étaient beaucoup plus élevées durant la vie fœtale et postnatale précoce qu’à l’âge adulte, prouvant un passage facilité de ce pesticide au niveau de la barrière hémato-encéphalique immature (Slotkin et al., 2006).
Cette perméabilité accrue potentialise la neurotoxicité des pesticides durant cette période de vulnérabilité, comme l’ont montré des altérations de neurotransmetteurs et de la synthèse d’ADN observées dans le cerveau des animaux juvéniles exposés (Slotkin et al., 2006).
C. Croissance et développement rapides
Par ailleurs, la période de croissance et de développement très rapides durant l’enfance rend les enfants hautement sensibles aux perturbateurs endocriniens, catégorie dans laquelle se rangent de nombreux pesticides.
En interférant avec le système hormonal, notamment thyroïdien, ces substances peuvent provoquer des effets délétères irréversibles lorsqu’elles surviennent durant des fenêtres d’exposition vulnérables (Jacobson et al., 2015).
Le développement du cerveau, de l’appareil génital, du métabolisme sont autant de processus-clé pouvant être perturbés.
D. Comportements spécifiques
Par ailleurs, les comportements typiques des enfants les exposent davantage aux pesticides présents dans leur environnement. Ils passent en effet beaucoup de temps au sol ou sur les tapis où s’accumulent les pesticides inhalés et se déposant avec les poussières domestiques.
Selon une étude, les concentrations en pesticides mesurées dans les poussières au domicile d’enfants de 2 à 5 ans étaient jusqu’à 9 fois supérieures à celles retrouvées chez l’adulte (Morgan et al., 2008). Le port d’objets ou de mains à la bouche, fréquent à cet âge, augmente le risque d’ingestion de ces substances.
E. Poids corporel plus faible
De plus, de par leur poids corporel plus faible, à ingestion égale d’aliments ou de poussières contaminés, la dose de pesticides reçue par kilo de poids est plus importante chez l’enfant comparé à l’adulte. Le différentiel peut atteindre jusqu’à 10 fois supérieur chez le nouveau-né (Meek et al., 2011).
F. Immaturité du système nerveux
Enfin, le système nerveux central étant en plein développement in utero et durant l’enfance, cette période constitue une fenêtre de vulnérabilité neurotoxique unique face à des agents chimiques comme les pesticides.
L’immaturité du cerveau le rend en effet extrêmement sensible aux agressions pouvant perturber sa mise en place, avec des conséquences potentiellement irréversibles.
Ainsi, de par leurs spécificités physiologiques et comportementales, les enfants constituent une population hautement vulnérable aux effets toxiques des pesticides. Il est donc essentiel de limiter au maximum leur exposition à ces substances durant ces périodes de vulnérabilité accrues que sont la vie fœtale et l’enfance.
IV. Des effets sanitaires préoccupants
Cette vulnérabilité propre à l’enfant laisse craindre que l’exposition aux pesticides, même à faible dose, puisse avoir des conséquences néfastes sur son développement et sa santé. De fait, de plus en plus d’études epidemiologiques, cliniques et expérimentales mettent en évidence des effets sanitaires préoccupants associés à l’exposition précoce à ces composés chimiques.
A. Troubles neuro-développementaux
Tout d’abord, un nombre croissant de publications suggèrent un lien entre exposition aux pesticides durant la grossesse ou l’enfance et troubles neuro-développementaux chez l’enfant.
Il s’agit notamment d’une diminution des capacités cognitives se traduisant par une baisse du quotient intellectuel, des déficits de mémoire, d’attention, des troubles du spectre autistique ou encore de l’hyperactivité (Bouchard et al., 2011 ; Engel et al., 2011 ; Oulhote et al., 2023).
Ces conséquences sur le développement cérébral sont étayées par des études chez l’animal, comme celles montrant des déficits de mémoire spatiale et d’apprentissage chez le petit de rate exposé au chlorpyrifos pendant la gestation (Levin et al., 2002).
D’autres recherches expérimentales ont mis en évidence des altérations neuro-comportementales et des anomalies moléculaires cérébrales chez la progéniture de souris exposées à des doses de pesticides n’ayant pas d’effet visible chez la mère (Carr et al., 2017).
B. Perturbations endocriniennes
De nombreux pesticides sont connus pour être des perturbateurs du système endocrinien. L’exposition précoce à ces substances est suspectée d’induire des dérégulations hormonales à l’origine d’effets délétères.
On leur impute notamment un rôle dans l’apparition d’une puberté précoce chez les filles, d’une augmentation de la prévalence du surpoids et de troubles métaboliques comme l’insulinorésistance (McGuinn et al., 2017 ; Vafeiadi et al., 2018).
Ces liens sont étayés par des études expérimentales chez l’animal. Ainsi, l’administration à des rates gestantes de faibles doses de certains pesticides (vinclozoline, prochloraz) entraînait l’apparition d’anomalies du développement sexuel chez les petits mâles (hypospadias2, cryptorchidie3) (Gray et al., 2006).
Chez le raton, l’exposition néonatale au chlorpyrifos modifiait durablement l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien, avec des répercussions possibles sur le développement cérébral et comportemental (De Angelis et al., 2009).
C. Cancers infantiles
Par ailleurs, plusieurs études épidémiologiques récentes ont mis en évidence une augmentation des cas de leucémies infantiles en lien avec l’exposition domestique aux pesticides (Turner et al., 2010 ; Bailey et al., 2015).
Bien que tous les mécanismes ne soient pas encore totalement élucidés, ces publications renforcent les soupçons sur le rôle potentiel de ces substances chimiques dans le développement de cancers pédiatriques.
D. Asthme
D’autre part, une exposition aux pesticides durant l’enfance a été associée à un sur-risque de développer de l’asthme plus tard dans l’enfance dans une étude épidémiologique (Raanan et al., 2015).
Cet impact sur la santé respiratoire s’ajoute aux autres effets délétères susceptibles de survenir lors d’une exposition précoce.
E. Effets transgénérationnels
Enfin, des travaux récents suggèrent que certains effets néfastes des pesticides pourraient même se transmettre aux générations futures, via des mécanismes épigénétiques induisant des modifications de l’expression de certains gènes (Manikkam et al., 2012).
Cette hypothèse, si elle venait à se confirmer, donnerait une dimension encore plus inquiétante à l’usage intensif de ces substances chimiques.
Ainsi, au vu des publications scientifiques récentes, les craintes sont grandement renforcées quant à l’impact sanitaire de l’exposition précoce aux pesticides sur le devenir des enfants exposés mais également des générations à venir.
V. Conclusion
Les pesticides sont des substances chimiques toxicity non dénuées de toxicité, en particulier chez les enfants. Il est désormais clairement établi que les enfants y sont exposés très tôt, dès la vie fœtale, et par de multiples voies tout au long de leur développement.
Or, durant ces fenêtres de vulnérabilité que sont la grossesse, la petite enfance et l’adolescence, ils sont beaucoup plus sensibles que les adultes aux effets délétères potentiels de ces composés, en raison d’une immaturité de leurs systèmes physiologiques.
Les conséquences d’une exposition précoce aux pesticides peuvent prendre des formes diverses plus ou moins graves, allant de troubles du développement neuro-cognitif à des pathologies chroniques respiratoires, métaboliques ou cancéreuses.